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septembre 2004 / septembre 2007 / septembre 2008

Pourquoi faire trace ? Depuis la première empreinte laissée par une main d’homme préhistorique sur son lieu de vie jusqu’aux pas d’amstrong laissés sur la lune, nous marquons notre territoire, nous essayons par tous les moyens de nous le représenter, de le décrire, de témoigner. J’ai toujours eu cette obsession, témoigner de l’existence de ce monde, comme si on pouvait en douter, comme si on pouvait falsifier ou déformer le réel, ou pire, l’oublier.

Je n’ai pas vu passer ma toute première décennie, des souvenirs d’enfants brouillés par une mémoire volatile ou entropique, je la sais existante uniquement par les photographies, les film super 8 familiaux , les Polaroïds, toutes ces traces qui ont « couvert » cette première période de ma vie. Après le 21/08/2004, choc d’une séparation douloureuse, j’ai décidé d’accumuler les traces de ce quotidien, de cet intime, l’insignifiant comme l’extraordinaire, comme pour mieux le fixer, le rendre palpable pour mieux le digérer, figer ces années qui nous voient passer sans preuve.Depuis la toute première image (prise avec un téléphone portable K700i), j’essaye de me souvenir, j’essaye de garder en image mes sensations, mes envies, mes ires, mes larmes.

La première photo c’était en sortant de chez le psy, il faisait chaud pour un matin de septembre, j’étais en arrêt maladie, je prenais un café en terrasse, je commençais ou compensais compulsivement à vouloir capter tout ce réel qui venait de m’échapper, une partie de ma vie s’était effondré, ma vie basculait, je l’accompagnais. Après dix ans de vie à deux, je devais apprendre à vivre seul, je devais revivre, continuer tout simplement, instinctivement, sans réfléchir, j’ai décidé de prendre en photo mon quotidien, puisque nous ne sommes qu’entropie passagère, je croquais dans un croissant, buvais mon café, j’étais presque heureux à cet instant.

Fixer au quotidien mes émotions, dresser l’inventaire de mes errances, établir une topographie sensible aux facettes multiples qui sont autant de preuves d’un quotidien banal et bancal qui pourrait être celui de tout le monde. Nous pourrions tous nous plonger et nous confondre dans ces lieux communs, ces repas de familles, ces moments de joie, de deuil, de tensions, de crises, de fêtes, tout ces gestes du quotidien, ces images accumulées sont autant de fragments de moments passés, de traces d’une vie qui nous échappe.

Photographie quotidienne, compulsive, instinctive, volontaire ou chaotique mais jamais contrôlée, utilisant l’outil le plus contemporain qui soit, le téléphone portable [*], pour le détourner de son usage premier, photographier avec un outil de communication pour communiquer une émotion visuelle. C’est une photographie sans trucage, sans effet, sans maîtrise volontaire, une photographie du quotidien, de l’intime, de mes proches, des lieux que j’ai croisés, brute et sans emphase. Tout est chronologique, pas de titre aux photos, pas de légendes, juste la date et l’heure de prise de vue, comme autant de preuve que ce que j’ai vu a dû exister.

J’ai détourné l’usage du téléphone portable pour en faire le témoin principal de ma vie, pour prendre au mot les promesses « commerciales » vantant mille facilités du tout « numérique » et jouer ironiquement avec l’affirmation qu’il suffit d’appuyer sur un bouton pour faire de « la » photographie.

De cette facilité du « just push the button » à l’incroyable accumulation (plus de 12.000 photos actuellement…) des moments possibles d’une vie, je continue à prendre en image ce quotidien comme un archiviste méticuleux mais dépassé par la quantité d’informations qu’il doit traiter, comme en overdose de notre actualité, comme dans l’impossibilité de digérer ce flot visuel.

Au final, ces images viennent s’exposer sur un site de partage d’image en ligne {Flickr}, comme l’ultime trace devant rester ad vitae aeternam sur le réseau des réseau où tout est systématiquement exposé à l’oeil public, organisé par mois, par mot clefs, par sets, comme autant de vies qui peuvent se croiser et finalement devenir universelles, « …de la vie de marc tallec » devient alors simplement la trace d’une époque, d’une actualité banale et commune à tout le monde. Le paradoxe de ce travail est la disparition, la dilution d’un ego par sa surexposition, l’atomisation du quotidien par sa répétition (encore et toujours des photos de ciel, de mer, de villes, etc…), un atavisme compulsif, laisser une trace, même si finalement on ne sait pas pourquoi…

*[ tout a été réalisé avec des téléphones Sony Ericson, un téléphone portable K700i (Appareil photo de 0,3 million de pixels) puis un K750i (Appareil photo de 2 million de pixels), entre août 2004 et juillet 2005, et enfin un K800i (Appareil photo de 3,2 million de pixels) depuis décembre 2006 ]

/postulat : août 2004
/explication de texte…

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